Le seigneur du silence
EAN13
9782809428384
ISBN
978-2-8094-2838-4
Éditeur
Panini
Date de publication
Collection
PAN.ECLIP.GD.FT
Nombre de pages
360
Dimensions
23 x 15 x 2,5 cm
Poids
382 g
Langue
français
Langue d'origine
anglais
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Le seigneur du silence

De

Traduit par

Panini

Pan.Eclip.Gd.Ft

Indisponible
Couverture001

Titre original : Lord of Silence

Illustration de couverture : Jean-Sébastien Rossbach

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christophe Cuq
Traduction révisée par Zibeline & Co

ISBN : 9-782809-434958

Eclipse est une collection de Panini Books

www.paninibooks.fr

© Panini S.A. 2013 pour la présente édition.

© Mark Chadbourn 2009

IMellias est mort

Dans la vaste Réserve des Âges, les fantômes n'avaient jamais de cesse. Leurs murmures sifflants et sournois sortaient des flaques d'ombres inflexibles qui s'agglutinaient entre les torches crépitantes, lourds de réponses terribles aux obsédantes énigmes, de savoirs oubliés, et de secrets qui jamais ne devraient être dévoilés. Ils étaient présents dans les parchemins effrités et les livres moisis, rédigés dans des langues qu'on ne comprenait plus, dans les artefacts aux origines perdues dans la nuit des générations, dans les peintures magistrales signées d'artistes dont plus personne ne se souvenait, dans les belles statues de figures inconnues, dans les fragments d'os et de poteries, les éclats d'armes brisées ; dans chaque morceau de mémoire attendant d'être reconstitué.

Ces fantômes ne représentaient pas une menace pour Tomas, apprenti conservateur en poste depuis seulement trois ans. Il avait accepté la vocation de travailler parmi les échos du passé et de prêter l'oreille à ces voix, pour tenter de comprendre la longue et mystérieuse histoire de l'ancienne Idriss, cité des lumières. Il s'agissait d'une tâche ingrate, il le savait ; pour les gens d'Idriss, le passé constituait un luxe à côté du harassant train-train quotidien. Nul ne s'en souciait. Nul ne souhaitait s'en souvenir. Jamais, au grand jamais, les habitants ne s'aventuraient derrière les épais murs de protection de la Réserve. On ne pouvait pourtant pas la rater : elle dominait la cité depuis la montagne du Cœur, plus haute éminence d'Idriss, monolithique structure de pierre grise, imposante et silencieuse, et peut-être plus ancienne que tout autre bâtiment de la ville.

Les fantômes qui inquiétaient Tomas étaient ceux qui se déplaçaient ces dernières semaines au travers des salles immenses et sonores, nuit après nuit, à la faveur de l'obscurité, à la recherche de quelque chose qu'ils ne trouvaient jamais. Il avait entendu leurs pas feutrés, sans jamais voir personne. Et si nul n'entrait dans la Réserve des Âges, qui ces visiteurs pouvaient-ils être sinon des fantômes ? Ce soir-là, il avait même distingué des voix, et de nouveaux bruits de pas, certains mesurés, d'autres urgents et pressés.

Que fallait-il en conclure, dans ce lieu où ne régnait que le silence ?

Il n'y avait jamais assez de lumière à l'intérieur de la Réserve des Âges, comme si l'obscurité reflétait l'opinion que les gens se faisaient du travail mené ici. Décrochant une torche du mur afin d'inspecter plus commodément les lieux, Tomas se dépêcha de traverser les salles tout en jetant des regards nerveux alentour.

En pénétrant dans la pièce suivante, il découvrit sur le mur opposé une ombre humaine déformée. Tomas émit un cri de surprise : elle semblait s'approcher de lui et le menacer. Mais lorsqu'il prit conscience que l'ombre ne bougeait pas, il avança plus près, jusqu'à se rendre compte qu'elle était projetée par une statue du Berger, une figure religieuse encore vénérée par certains habitants d'Idriss : elle levait les bras dans une posture que Tomas supposait dévotieuse.

Il poussa un net soupir de soulagement, brusquement interrompu par la sensation d'adhérence humide de ses pas et par une forte odeur de fer. Baissant la flamme vacillante de sa torche, il vit qu'il se tenait dans une grande flaque sombre. Son cœur s'emballa furieusement et il sauta de côté en comprenant aussitôt ce que c'était. Il gémit, songea à courir chercher l'un des conservateurs en chef, mais au lieu de cela, il se trouva inexorablement attiré vers la source du sang.

Le corps gisait sur le sol, juste devant la statue du Berger. Le choc de la découverte fit basculer la conscience de Tomas, les images défilant à toute allure et au hasard à mesure qu'il s'efforçait d'assimiler ce qu'il voyait. Il s'agissait d'un homme : musclé, blond, armé d'une épée. Du sang. Il déglutit, et crut qu'il allait vomir alors que son attention survolait les détails les plus marquants, qu'il aurait voulu ne jamais voir, et savait qu'il reverrait éternellement. Les deux yeux avaient été énucléés. La bouche avait été balafrée de part et d'autre, dessinant à la victime un large et sanglant sourire de dément. On avait arraché sa chemise et incisé sur sa poitrine un cercle irrégulier transpercé par une ligne. Tomas était incapable de regarder plus longtemps le reste du corps ; il semblait avoir été la proie d'un animal.

Avec maladresse, il fit un pas en arrière et tenta de donner l'alarme, mais les mots moururent dans sa gorge quand il se rendit compte qu'il connaissait l'identité de la personne massacrée.

Mellias.

Un flot de chagrin balaya son épouvante. Le visage ruisselant de larmes, il tomba à genoux et secoua timidement le corps, comme s'il pouvait lui redonner vie de cette façon.

Mellias, le Guerrier Blanc. Le plus valeureux héros d'Idriss. Le plus honorable, le plus noble, qui avait à lui seul vaincu soixante ennemis à la Porte Basse, s'était aventuré dans la grande forêt afin de sauver la jeune fille d'un marchand des horreurs tapies dans celle-ci, et avait versé pour Idriss plus de son sang qu'aucun autre habitant, sans rien demander en retour. Mellias était Idriss. Mellias personnifiait un espoir d'avenir dans une cité qui menaçait constamment de s'éteindre.

Que signifiait à présent pour Idriss la mort de Mellias ?

Tomas posa sa tête sur la poitrine froide du cadavre et se mit à sangloter.

Se forçant à se relever un moment plus tard, le jeune conservateur repartit à toutes jambes d'où il venait, laissant une traînée de sang dans la poussière de la Réserve des Âges.

Mellias est mort, se dit-il en lui-même, incrédule ; puis il finit par retrouver sa voix :

— Mellias est mort !

L'administrateur Ashur examina le corps durant de longues minutes. Son jeune assistant, Carlo, que l'alerte avait tiré de son lit, était bien en peine de deviner les sentiments de son maître, car la masse de chairs cicatrisées qui donnait au visage d'Ashur cette blancheur et cette immobilité ne trahissait rien, et l'administrateur n'avait fait aucune remarque depuis qu'on lui avait remis le corps. Essuyant ses larmes, Carlo aperçut le petit groupe de conservateurs : leurs traits affichaient l'émotion qu'il s'attendait à lire sur le visage de chaque habitant d'Idriss dès que la nouvelle se répandrait. Il entendait des sanglots, des prières, des appels à la délivrance, et qui pouvait les leur reprocher ? Mellias était mort. La statue du Berger elle-même semblait rendre un jugement sur l'effroyable spectacle.

— Mensonge ! Ce ne peut être vrai !

La voix aigrelette et crachotante du roi Lud flottait dans l'air sec de la chambre. Soutenu par ses deux aides, il émergea à pas lents et chancelants de l'obscurité du fond de la pièce. Le souverain paraissait plus frêle encore que la dernière fois que Carlo l'avait vu : sa peau était jaunissante et ridée, ses yeux pâles et presque aveugles suintaient, son corps courbé et tordu rappelait un vieil arbre sur une colline battue par les vents.

— C'est la vérité, Votre Altesse. Les ténèbres menacent d'engloutir la grande cité des lumières.

Les muscles rigides du visage d'Ashur avaient livré ces mots d'une voix râpeuse et troublante, qui ne trahissait guère plus d'émotion.

— Jamais ! déclara le monarque. (Il baissa l'espace d'un instant le regard sur le corps, avant de fixer attentivement un coin sombre de la salle, les yeux brillant à la lueur des flambeaux. Reprenant son aplomb, il ajouta calmement :) Idriss ne sombrera pas, quand bien même son cœur serait arraché.

Ashur accorda au souverain un moment de réflexion, puis déclara d'un timbre dénué de passion, qui glaçait d'autant plus les veines.

— Quelle sorte de bête peut bien rôder en Idriss ? Ces mutilations... cela me répugne.

— Ce n'est rien de plus que l'œuvre d'un fou. Inutile de nous en soucier. Ce...
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