Géopolitique du tourisme
EAN13
9782200351038
ISBN
978-2-200-35103-8
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Perspectives géopolitiques
Nombre de pages
200
Dimensions
21 x 15 cm
Poids
290 g
Langue
français
Code dewey
330
Fiches UNIMARC
S'identifier

Offres

Autre version disponible

Collection Perspectives géopolitiques sous la direction d'Yves Lacoste

Document de couverture : Policier à dos de dromadaire au pied des pyramides (Égypte, 1993). © Thomas Hartwell/CORBIS.

© Armand Colin, Paris, 2008

Armand ColinÉditeur• 21, rue du Montparnasse• 75006 Paris

9782200279981 – 1re publication

Avec le soutien du

www.centrenationaldulivre.fr

Je dédie cet ouvrage à tous mes étudiants de la filière tourisme, d'hier d'aujourd'hui et de demain.

« L'influence négative du tourisme est assez importante lorsque le complexe de supériorité véhiculé par le visiteur trouve, malheureusement, un écho fécond dans l'imaginaire local hanté par un soupçon de sentiment d'infériorité (cf. conséquence de la colonisation). »

Mimoun Hillali, Le tourisme international vu du Sud, Presses de l'Université du Québec, 2003

CHAPITRE 1L'expansion polémique du tourisme international

Bien avant qu'on les compte par centaines de millions, Alfred Jarry évoque « la mobilisation des touristes » qu'il compare à « une force navale, [qui] couvre les flots d'une substance dont la formule est tenue encore secrète par le ministre de la Marine [ayant] pour effet de rendre opaque la surface de la mer »... Or, ajoute-t-il, on ne prononcerait pas le terme de « touristes [...] dans l'intention évidente de dérober l'importance de cette manoeuvre aux puissances étrangères, même alliées1 »... Les propos de l'écrivain français, qui rappellent ceux de Peter Sloterdijk2 sur le 11 septembre 2001, résumeraient l'importance du phénomène touristique et la manière dont il est sous-estimé. Il conviendra donc d'apprécier les conséquences des gigantesques cohortes de touristes internationaux qui occupent des territoires sans trop de précautions. Il faudra aussi se demander si la relative discrétion des toutes premières expansions touristiques visait à retarder le sans-gêne de celles d'aujourd'hui. Enfin, au-delà de certaines ressemblances avec les mouvements coloniaux, il sera utile de s'interroger sur le rôle du tourisme dans le « choc des civilisations » prôné, sans trop de nuances, par Samuel P. Huntington3.Les touristes assimilés à des étrangers

L'OMT et les associations qui l'ont fait naître n'ont eu de cesse de revaloriser l'image des touristes afin d'aboutir à l'activité économique moderne qu'on connaît aujourd'hui. Par ailleurs, son internationalisation relègue au second plan le tourisme interne (domestic tourism) et sa vocation sociale. René Duchet, dans un livre déjà ancien4, prend ainsi beaucoup de précautions pour définir les touristes mais, en retenant l'observation prémonitoire d'Auscher en 1928 selon laquelle on est passé « tout d'un bloc, du domaine de l'agrément individuel ou collectif, à celui de l'économie générale », il suggère que les touristes sont déjà des étrangers... Ils sont pourvoyeurs de devises, d'où le terme Fremd pour désigner le touriste en Suisse alémanique et ce néologisme, Ausländerverkehr (littéralement, « l'industrie des étrangers »), pour qualifier le tourisme. On comprend donc pourquoi les touristes internationaux, à l'inverse des touristes internes, ne sont pas admis dans les pays totalitaires (« Nous ne sommes pas un pays pour voyage de noces », disait Mussolini). Enfin, la tendance selon laquelle le tourisme est déjà un besoin social, ce qui est longtemps l'objectif de l'OMT avant 1990, s'efface peu à peu devant sa vocation économique. Comme Duchet le signale encore, on finit par opposer le tourisme « aux mœurs de l'époque, aux habitudes du travail, de repos casanier, de sage économie, à la vie sédentaire ».

Au XIXe siècle, les touristes sont surtout les Anglais de la leisure class, ces rentiers « qui mangent toute leur fortune en voyage », dit Alexandre Dumas. Non seulement on doit à l'Angleterre l'invention du terme tourism, mais les Anglais offrent l'image contradictoire de touristes audacieux et caricaturés. Sans s'étendre sur la révolution touristique du siècle, il convient de rappeler quelques évidences. Ces touristes envahissent le massif alpin, courent de monument en monument, donnent leurs lettres de noblesse aux livres-guides qui ont un caractère à la fois géographique et pragmatique, mais ils demeurent, par leur aspect et leurs méthodes d'investigation, des apprentis voyageurs dont on se moque à souhait. Cependant, leur classe sociale et la morgue qu'ils affichent auprès des populations locales n'échappent à personne. Le tourisme moderne international conserve encore cette connotation historique, qu'il faut opposer, par exemple, aux bourgeois parisiens seulement avides d'une résidence secondaire sur les côtes normandes. C'est la survivance de cet état d'esprit qui nous a conduits à définir le colonisme.

C'est, qu'entre-temps, le tourisme a cessé d'être la passion de quelques individus pour prendre l'allure d'une invasion de plus en plus prégnante. Autrement dit, le géographe marocain Mimoun Hillali5 n'aurait pas évoqué un « mouvement néocolonial » si le tourisme de masse ne s'était imposé depuis plus de cinquante ans en investissant des destinations de plus en plus lointaines. Pourtant, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le tourisme était encore confidentiel et sa vocation internationale à peine ébauchée. En 1947, selon Duchet, 84 communes françaises seulement reçoivent plus de dix touristes et leur nombre total est inférieur à 20 000. C'est dans cette optique qu'il convient de rattacher l'ouverture tardive, après-guerre, de nombreux pays au tourisme international. L'URSS, par exemple, s'inspire des anciens pays fascistes dans lesquels le tourisme local exclue la présence étrangère. Mais, au seuil des « Trente Glorieuses », on reconstruit les économies et on jouit de la paix retrouvée chez soi, et le terme de frontière n'est pas un vain mot. Non seulement, il faut souvent un passeport et un visa, et donc une longue préparation pour aller à l'étranger, mais les contraintes monétaires sont souvent insurmontables. Même la France, au nom d'un contrôle des changes désuet, limite les sorties de devises, et on doit choisir le bon moyen de paiement pour aller simplement en Espagne : des dollars ou des traveler-cheques dans la monnaie américaine...

Progressivement, la plupart des frontières se lèvent, bien qu'il faille attendre les années 1990-1991 et la fin des régimes socialistes de l'Europe de l'Est pour que ce soit quasi général. Dans cette attente, le rôle militant des associations culturelles d'ordre touristique est exacerbé, mais leur côté régional ou national, orienté vers les oeuvres laïques, l'enseignement ou les sports softs prête aujourd'hui à sourire. Pourtant, « l'essor du tourisme international » est sollicité, comme l'exprime Duchet6 en nuançant son propos : « Tous les obstacles ne font qu'accroître le besoin des hommes de s'évader de temps à autre du cercle de l'existence coutumière, d'élargir leur horizon, de donner un autre rythme à leur vie, de retrouver la nature apaisante, de découvrir d'autres aspects du monde ». On est pourtant loin des centaines de millions de touristes actuels, qui ressemblent aux hordes d'Attila par rapport aux quelques milliers d'hier...

L'image des touristes riches dans les pays pauvres a toujours existé, même en France et si, désormais, elle y est moins forte qu'il y a seulement cinquante ans, c'est parce que l'écart de richesse entre les touristes et les résidents a beaucoup diminué. On s'est ainsi inspiré des carnets d'Émile Zola7 pour montrer que le pèlerinage de Lourdes n'empêche pas le développement d'un phénomène de prostitution dans la pauvre Bigorre du XIXe siècle... En théorie, un groupe d'Américains qui visite une petite ville française ne crée plus aujourd'hui ni envie, ni rancœur, ni gêne. À l'inverse, et malgré les bons rapports de voisinage, quelques Français en terrasse dans un café marocain provoquent une intrusion moins bien acceptée. Ce constat, fort simple, explique sans doute les tensions que fait naître le tourisme dans le monde émergent, avec des conséquences qu'on examinera ensuite. Au niveau des cultures, les peuples s'identifient à leur représentation ou à l'image qu'on donne d'eux, et parce que la culture repose sur la mémoire, toutes les inter...
S'identifier pour envoyer des commentaires.

Autres contributions de...

Plus d'informations sur Jean-Michel Hoerner