Eric R.

Conseillé par (Libraire)
1 février 2019

Un flic décalé et surprenant.

Après l'immense succès du roman policier « Le Bourreau de Gaudi », Aro Sàinz de la Maza, avec "Les Muselés" rentre dans le Gotha des écrivains espagnols. Avec son inspecteur Milo Malart, un flic décalé et surprenant.

Le plaisir de lecture est énorme et le suspense tient vraiment jusqu’à la dernière page.

Qui est il ce Milo Malart pour mériter l’attention de milliers de lecteurs? Comme nombre de ses collègues fictifs c’est un personnage mal à l’aise avec la vie. Taciturne à tendance schizophrénique (!) il agit uniquement par intuition en faisant confiance à son « antenne parabolique » dont se moquent ses collègues. Invivable, asocial, soumis à des rêves intolérables, il se balade avec un mal être qui le renvoie à son enfance douloureuse, marqué par la séparation d’avec ses parents, la violence de son père retrouvé. Et ce gêne de folie, que son frère perpétue et dont Milo craint l’héritage. Une seule rédemption pour l’inspecteur: chaque matin à l’aube se baigner dans l’eau de la mer comme une manière de se laver des horreurs du jour à venir. Rituel accompagné de la lecture du journal, de l’horoscope et d’un repas éternellement identique. Il est LE sujet principal de ce polar, lui qui a sa manière si particulière de résoudre l’enquête: prendre la place d’un morceau du puzzle, s’y infiltrer et raisonner comme si.

Mais Milo est aussi une pierre de cette ville qu’est Barcelone, ville envoûtante et sacrificielle. Avec « Les muselés », on découvre la Barcelone de la crise de 2008, qui laisse des milliers de personnes dans la misère prêtes à tout pour survivre mais obligées de se taire comme le dévoile le titre. Milo lui aussi serait prêt à renverser le monde pour vaincre ses terreurs et les enquêtes n’ont pas pour seul but de trouver un assassin mais aussi de décrire une Espagne rangée au côté des nations en voix de déliquescence. Il y a un caractère politique aux images de Milo, celui des services publics abandonnés, des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres mais ces constats, qui peuvent paraître banals sont mis en exergue par des intrigues que ne sauraient renier les meilleurs polars.

On attend avec impatience un troisième tome.

Eric Rubert.

Conseillé par (Libraire)
24 janvier 2019

LE DIEU VAGABOND

Avec « Le Dieu Vagabond » l’exceptionnel dessinateur italien Fabrizio Dori nous ouvre les portes d’une mythologie grecque qui fait irruption dans nos vies quotidiennes. Des images fantastiques au service d’un conte original.

Il s’appelle Eustis, drôle de nom pour une drôle de silhouette qui rappelle des personnages de Magritte: chapeau melon et longue redingote. Il faut préciser qu’il est un peu perdu Eustis. Il vit dans un champ de tournesols près d’une grande ville. Il picole pas mal. Il raconte des histoires à qui veut l’entendre, comme un devin. En fait il n’est pas de notre temps. Il n’est pas de l’époque du Dieu unique. Il est issu du Thiasos, ce cortège errant de Dionysos. Satyre, dieu mineur du temps d’Hadés ou d’Artémis, ami de Pan, il s’est égaré sur la route de Delphes, attiré par une nymphe maléfique. Il aimerait retrouver ses potes, le bon vieux temps celui où Dyonisos organisait des fêtes royales et quitter ses mortels qui ne voient pas « les choses clairement «  parce qu’ils les recouvrent « constamment d’une couche de paroles ».

Ainsi va le monde et le dessin exceptionnel de Fabrizio Dori qui accompagnent Eustis, Le lecteur, qui a abandonné son rationalisme le long de ce périple, s’associe à cette quête pour côtoyer Morphée, Hécate, Chiron « psychothérapeute des Dieux » et beaucoup d’autres plus ou moins connus.

Ce mélange temporel s’accompagne de dessins totalement exceptionnels qui empruntent à toutes les époques et l’on s’amuse à découvrir les arabesques d’un ciel étoilé de Van Gogh, que rencontre d’ailleurs Eustis (normal pour un Dieu habitant un champ de tournesols). Les violine rappellent Gauguin, Pont Aven ou les Marquises. Les arbres fluctuent et flanchent comme dans les toiles des Nabis. Les gros plans expressifs sont ceux de Munch et les silhouettes dorées, celles de Klimt. De chapitres en chapitres, de rencontres en rencontres, le style graphique change, éclate, étourdit.
Une fête flamboyante clôture cet album unique qui donne envie de retrouver au plus vite celui qui avec « Gauguin l’autre monde » avait déjà ouvert en grand les portes de notre imaginaire. Et de nos yeux.

Eric Rubert.

Conseillé par (Libraire)
22 janvier 2019

LE DIEU VAGABOND

Avec « Le Dieu Vagabond » l’exceptionnel dessinateur italien Fabrizio Dori nous ouvre les portes d’une mythologie grecque qui fait irruption dans nos vies quotidiennes. Des images fantastiques au service d’un conte original.

Il s’appelle Eustis, drôle de nom pour une drôle de silhouette qui rappelle des personnages de Magritte: chapeau melon et longue redingote. Il faut préciser qu’il est un peu perdu Eustis. Il vit dans un champ de tournesols près d’une grande ville. Il picole pas mal. Il raconte des histoires à qui veut l’entendre, comme un devin. En fait il n’est pas de notre temps. Il n’est pas de l’époque du Dieu unique. Il est issu du Thiasos, ce cortège errant de Dionysos. Satyre, dieu mineur du temps d’Hadés ou d’Artémis, ami de Pan, il s’est égaré sur la route de Delphes, attiré par une nymphe maléfique. Il aimerait retrouver ses potes, le bon vieux temps celui où Dyonisos organisait des fêtes royales et quitter les mortels.
Ainsi va le monde et le dessin exceptionnel de Fabrizio Dori qui accompagnent Eustis, mais aussi ses compagnons de route, Léandros, ou le petit professeur, petit humain à la recherche du sphinx. Le lecteur, qui a abandonné son rationalisme le long de ce périple, s’associe à cette quête pour côtoyer Morphée, Hécate, Chiron « psychothérapeute des Dieux » et beaucoup d’autres plus ou moins connus.
Le fantastique mélange temporel s’accompagne de dessins totalement exceptionnels qui empruntent à toutes les époques et l’on s’amuse à découvrir les arabesques d’un ciel étoilé de Van Gogh, que rencontre d’ailleurs Eustis (normal pour un Dieu habitant un champ de tournesols). Les violine rappellent Gauguin, Pont Aven ou les Marquises. De chapitres en chapitres, de rencontres en rencontres, le style graphique change, éclate, étourdit.
Eustis va retrouver ses oreilles pointues et ses petites cornes frontales. il va retrouver sa nudité et les yeux fixes du léopard qu’il porte sur ses épaules. Une fête flamboyante clôture cet album unique qui donne envie de retrouver au plus vite celui qui avec « Gauguin l’autre monde » avait déjà ouvert en grand les portes de notre imaginaire. Et de nos yeux.

Eric Rubert.

Conseillé par (Libraire)
21 janvier 2019

Philippe Besson est un auteur qui chaque année nous emmène dans ses introspections amoureuses. Avec « Un certain Paul Darrigrand », il nous raconte son deuxième amour de jeune homme troublé par la maladie. Pudique et tendre. Comme d’habitude.

Depuis de nombreux ouvrages, l’écrivain s’est attaché à traquer avec un scalpel, les émotions de l’amour, la compréhension de ce premier moment qui fait que deux êtres en un éclair se voient et se désirent, qui fait que « L’histoire vient de commencer ». Paul Darrigrand est le second amant dévoilé et le lecteur comprend rapidement que le scalpel va fouiller les mêmes entrailles.
Cette fois-ci, c’est la maladie qui va interférer dans cette relation d’amour, une maladie qui menace la vie même de Philippe Besson, une maladie qui mange les globules et qui en pleine exaltation d’un amour naissant va bouleverser une passion dévorante. Paul est marié, va être père de famille. Paul, l’amoureux, est maître, semble t’il, du jeu. Philippe Besson, subit, suit dans un dialogue paralysant où il est surtout, l’auditeur et non le conteur. L’univers habituel de Besson se retrouve, un univers égocentrique où l’on parle essentiellement des relations entre les êtres, de passion amoureuse, de sexe, d’affection, d’envie.
A cette thématique devenue récurrente s’ajoute cependant le charme habituel de ses ouvrages: un style simple, pur, sans emphase qui touche au plus juste. Avec une grande sensibilité et une poésie indirecte les textes de Philippe Besson possèdent tous une petite musique, qui transfigure la réalité parfois triviale en petite épopée humaine. La mécanique diabolique des sentiments est décrite au plus près. Inspectant chaque recoin de la psyché humaine, Besson réussit à établir avec le lecteur une sorte de connivence, le persuadant que sa vie et ses textes nous sont personnellement destinés. A moins de ne jamais avoir été amoureux et de n’avoir jamais connu la foudre qui s’abat sur vous, ces « fulgurances, ces immédiatetés, la nécessité implacable ».

Eric Rubert.

Le buveur d'absinthe

1

Gallimard Jeunesse

22,00
Conseillé par (Libraire)
14 janvier 2019

Un tour du côté de chez "Swan"... sans Proust.

En racontant les prémices du mouvement impressionniste, Néjib débute la chronique d’une vie parisienne des années 1860. Quand la peinture reflète la société, elle devient le support d’un feuilleton passionnant.

Les planches dessinées de Néjib sont facilement reconnaissables: des traits noirs puissants et structurés qui donnent une priorité au dessin, ce dessin auquel il apporte son originalité en adjoignant une ou deux couleurs par page, comme pour éclairer les scènes d’une manière originale en distinguant l’essentiel du secondaire.
On peut alors s’étonner que l’auteur, qui s’était fait connaître avec le formidable « Stupor Mundi » choisisse comme thème la naissance et l’aventure des impressionnistes.
Il est vrai que d'impressionnistes il n’en n’est guère question pour l'instant. C’est plutôt une période incandescente de contestation artistique qui se déroule devant nos yeux. Courbet et surtout Manet sont dans la BD les prémices et les annonciateurs d’une révolution qui arrive à grands pas, dont on ignore encore tout, mais dont les « rapins » vont déclencher l’étincelle comme l’annonce la première page. Pourtant Néjib ne limite pas sa BD à ces faits si connus et si souvent relatés. Son propos est plus large et constitue l’intérêt majeur de cet ouvrage: c’est le Paris des années 1860 qu’il s’attache à décrire grâce à l’oeil neuf et étranger de Swan et de son frère Scottie, qui débarquent de New York chez leur cousin Edgar Degas pour toucher de plus près à ce monde artistique dont il rêve tant. Scottie, qui apporte dans ses valises, un lourd secret personnel veut intégrer l’Académie des Beaux Arts. Swan, à l’encontre des moeurs de son temps, veut elle aussi créer, dessiner, peindre. En utilisant ce fil conducteur, Néjib peut ainsi élargir son propos et sa palette. Il est alors question d’homosexualité, de féminisme, de misogynie, de conservatisme et d’aveuglement bourgeois dans le décor d’un Paris qu’Haussmann est en train de détruire pour reconstruire une capitale moins accessible aux violences révolutionnaires.
Derrière les destins connus de Manet ou du triste Degas, Néjib réussit à nous conter une époque, où l’on se meut dans une société corsetée, rigide dirigée par l’hypocrisie et les apparences. La BD se lit alors comme un véritable roman policier.
On attend avec impatience le deuxième épisode de ce superbe feuilleton.

Eric Rubert.